Avant-propos
Agatha Christie, est-il besoin de le rappeler, est un des trois ou quatre grands noms du roman policier mondial. Son succès dans ce domaine semble avoir quelque peu occulté ses autres récits. Et dans les ouvrages qui lui sont consacrés, il n’y a guère que quelques allusions discrètes à ses nouvelles fantastiques comme si ses incursions dans un genre autre que celui qui a fait sa célébrité ne méritaient pas d’être rappelées, sinon historiquement.
Pourtant, c’est tout au long de sa carrière qu’Agatha Christie a publié des contes fantastiques, et cela a son importance. Le fait que ces nouvelles aient été publiées entre 1933 et 1971 tendrait à prouver que le fantastique n’a pas été, pour elle, la préoccupation passagère d’une période fort limitée dans le temps. Comme si elle avait voulu, de temps à autre, donner des prolongements à son œuvre policière en rappelant que la mort n’est pas toujours explicable, et que l’univers, apparemment si ordonné dans les romans d’énigme, recelait encore des mystères insondables que la logique du détective ne suffit pas à expliquer.
Auteur fantastique à de rares occasions pour les lecteurs français, Agatha Christie l’est à part entière pour les Anglo-Saxons, habitués depuis le début de sa carrière à trouver des récits étranges au milieu de nouvelles plus classiquement policières. Prémonitions, mysticisme, sorcellerie, magie sont au cœur de ces contes qui frappent par leur intensité et leur caractère tragique. Dame Agatha aime le mélange des genres et n’hésite pas à dérober sous les pieds du lecteur la raison triomphante qui règne dans ses récits policiers. Par goût du paradoxe ? Par dilettantisme ? Cela reste à voir.
Dans une interview publiée le 15 mars 1932 dans la revue mensuelle « Le Club des Masques », elle raconte ainsi ses débuts littéraires : « Mon rêve était de chanter à l’Opéra, mais ma voix était trop grêle pour une si vaste salle, et du reste je n’ai jamais pu vaincre une timidité nerveuse qui m’ôtait tous mes moyens dès que je paraissais en public. Je n’insistai pas. Je me suis mise alors à écrire des histoires très tristes sur les malheureux et des histoires de fantômes. Mes amis m’encourageaient, me prédisant une belle carrière littéraire, mais évidemment, je ne vendais pas un seul de mes contes. »
C’est alors qu’elle composa La Mystérieuse affaire de Styles pour tenir la gageure d’écrire un roman policier. Ce texte est très révélateur. La timidité nerveuse, le sentiment d’insécurité, tout ce qui allait disparaître avec le succès des premiers romans policiers, sont au cœur des nouvelles fantastiques qu’Agatha Christie écrit pour se livrer et non plus pour tenir un pari.
Dans les œuvres policières la lumière triomphe, le coupable est démasqué, l’univers retrouve son ordre. Dans les contes fantastiques, la part d’ombre reste intacte. Une faille est apparue dans la réalité. Et soudain l’inquiétude, l’angoisse et la peur d’un auteur réputé pour sa pudeur font leur apparition. Dans ces nouvelles, Agatha Christie nous fait pénétrer dans son jardin secret. C’est sans doute pourquoi elles sont chargées d’une telle émotion.
François Guérif